Polyphonies corses
Histoire

2014 : Odisseu
"J’ai rencontré Guidu Calvelli, le chanteur des Campagnoli, un soir de printemps, lors d’une veillée, à Oletta. La beauté des chants était si haute que j’en fus émue. “Nous chantons ensemble depuis vingt-cinq ans, dit Guidu. - Au Japon, vous seriez des trésors nationaux vivants, répondis-je.”
Quelques temps plus tard, j’allai les entendre à la cathédrale du Nebbiu, à Saint-Florent. Les quatre hommes chantaient sans autre artifice que celui de la beauté apprise des anciens dans la ferveur. Recomposée et recréée par eux, cette beauté jaillit toute vive.
La passion du chant, de l’amitié, de la langue corse est ce qui les lie. Le goût de la transmettre dans l’humilité, ce qui les unit. Cette ardente patience est le signe de l’art le plus exigeant".
Marie Ferranti, in Les Maîtres de chant, livre à paraître aux Editions Gallimard. Tous droits réservés (Copyright Marie Ferranti, Editions Gallimard).

1989 - 1994 : La fête de la musique!
“Le groupe I Campagnoli  fut créé en 1989. Leur premier spectacle, ils le donnèrent le 21 juin, pour la fête de la musique, à Saint-Florent.
 Le nom des Campagnoli, qui signifie : “Les hommes de la terre”, Guidu le découvrit sur l’affiche, placardée sur la porte de la salle Don Bosco, où devait avoir lieu le concert. Il demanda qui étaient ces Campagnoli. “C’est nous!” répondit Ange Orati. 
 Le pluriel n’était pas superflu. Le groupe était hétéroclite. Ils étaient, selon le mot de Guidu, une “ribambelle”.
 “C’était, dit-il, une cohue monumentale”.
  Grâce à Guidu et à Ange Orati, les choix artistiques s’affinèrent: les rangs des choristes improvisés s’éclaircirent.
 I Campagnoli fondèrent une association du même nom. Ils étaient plus assidus aux répétitions, travaillaient davantage.  Ange Orati, Guidu Calvelli, Manu Saveris furent rejoints par Pierre-Jean Marchetti, puis, en 93, par Jean-Guy Santamaria et Francis Cordoleani, appelé Tittu, puis, en 2003, par  Jimmy Ronchi. Ange composait les chansons et Guidu, les voix. 
 Chaque année, ils participaient aux Ghjurnate di Corti (Les Journées de Corte). On ne s’en étonnera pas : c’était le rendez-vous annuel de tous les nationalistes et, pour les groupes polyphoniques corses, le chant était lié à l’engagement politique. 
 En 1991 fut organisé à Bastia un concours de chants polyphoniques. La liste des participants laisse rêveur. A filetta, I Surghjenti, L’Albinu, Eric Mattei, Féli, I Mantini, I Chjami Aghjalesi et I Campagnoli. Le prix de ce concours était deux soirées au Bataclan, à Paris. I Campagnoli, I Mantini et I Chjami en sortirent vainqueurs.
   A Paris, le soir de la première, Guidu, de la coulisse,  regardait la salle : “Tout était rouge : les murs, les fauteuils, le  rideau de scène. C’était impressionnant! Nous étions les plus jeunes. On nous a jetés dans l’arène. Nous nous sommes plantés devant le micro. Nous n’avions aucun repère. Je me rappelle la peur du trou de mémoire qui nous hantait. Autrement, je ne me souviens plus de rien : j’avais l’impression de flotter dans l’air”. 
 Le retour en Corse fut rude. Ils écoutèrent les enregistrements du Bataclan et les trouvèrent si mauvais qu’ils décidèrent d’arrêter de chanter.
Guidu ne l'admettait pas. Il était chez Manu Saveris :"Ange est passé. Je lui ai dit : Qu'est-ce qu'on fait? On ne va pas laisser tomber le groupe ! Moi, je suis partant pour reprendre !" Ils l'étaient aussi. Il leur manquait seulement l'impulsion pour s'y décider. Après avoir obtenu leur accord, j'ai fait venir Tittu, Jean-Guy et Stéphane Roncaglia, qui était aussi un très bon guitariste".
Quelques temps plus tard, le 5 mai 1992, se produisait la catastrophe de Furiani. Ange écrivit une très belle chanson, Di biancu e di turchinu, pour venir en aide aux familles et rendre hommage aux victimes. Et le groupe se reforma, plus soudé que jamais”.
Marie Ferranti, in Les Maîtres de chant, livre à paraître aux Editions Gallimard. Tous droits réservés (Copyright Marie Ferranti, Editions Gallimard).

        

1995 - 2004 : Premiers succès.
 “En 1997, I Campagnoli participèrent à un autre concours de chant polyphoniques, national celui-là. La marraine en était Diane Tell.
 Il se déroulait à Laas, dans les Pyrénées-Atlantiques, “près de Pau”, précisa Guidu, qui avait compris que la géographie n’était pas mon fort. 
  Tittu l’avait appris par la voix de Radio Corsa Frequenza Mora. Il avertit ses amis, qui répétaient dans l’église de Murato. 
“Nous nous sommes aussitôt rendus à Saint-Florent, chez Ange, me dit Jean-Guy. Nous avons enregistré trois chansons. L’appareil est tombé en panne. “Tant pis! avait dit Ange. Nous ne pourrons pas faire une autre prise.”
L’enregistrement fut envoyé et ils furent sélectionnés.
Tandis que nous évoquons cette période, nous nous tenons sur la terrasse d’un restaurant fermé. C’est l’après-midi. Nous sommes au coeur de l’été. Il fait chaud. Nous nous sommes abrités du soleil sous la pergola. Devant nous, le monument aux Morts, en contrebas de la route, un jeune olivier, de grands arbres, des vieux toits de lauze dorés et verts,  la vallée de la Conca d’Ora brumeuse, le lac de Padula. Plus loin, comme une trace bleue plus soutenue se mêlant au ciel laiteux, le golfe de Saint-Florent.  
“Nous étions jeunes, dit Jean-Guy.
-Inconscients ! dit Guidu. Nous avons mis plus de sept heures pour rejoindre Laas. Une amie nous accompagnait. Nous avons roulé dans ce fourgon Toyata pendant des heures. 
-Enfin, nous sommes arrivés à Laas, dit Jean-Guy. Il était plus de minuit. Nous avons été accueillis très gentiment par le Conseiller général et la municipalité. Nous étions épuisés, affamés, assoiffés : nous louchions sur le stand Guiness qui était le sponsor du festival de polyphonie. 
-Nous avons bu - beaucoup - et dormi très peu. Nous chantions le lendemain soir. Mais quand nous sommes entrés sur scène, c’était comme si nous n’avions bu que de l’eau, dit Guidu. 
-L’état de grâce, dis-je.
-Nous chantions face au public et non, comme d’habitude en demi-cercle, dit Jean-Guy. Je tremblais si fort que je craignais que mes jambes ne se dérobent. Je regardai les autres. Personne, sauf moi, n’avait l’air d’avoir le trac. J’entendais mal la voix de mes amis. Je me repris. Je chantais.
-C’était impressionnant ! Il y avait au moins deux mille personnes sous ce chapiteau, dit Guidu. 
-En réalité, ils étaient tous tétanisés, mais personne n’avait rien dit. J’aurais été heureux de le savoir! dit Jean-Guy. Je croyais être le seul dans cet état! Cela a duré longtemps. Il y avait un escalier pour accéder à l’estrade. Nous prenions le même chemin pour quitter la scène. Je regarde l’escalier : je me sens incapable de le descendre sans me rompre le cou. J’ai sauté! 
-Qu’avez-vous chanté? dis-je.
-Nous avions chanté quelques chansons, dont Quandu sero per Corti, en hommage à mon père, dit Guidu. Alors que nous sortions de scène, nous avons croisé le groupe qui y entrait. Ils nous disent : “Merci les Corses!” Je me demandai ce qui leur prenait. Je n’avais  pas compris. 
-Nous étions sûrs de ne rien obtenir ! Nous nous serions largement contenté d’un troisième prix!
-Nous avons eu le premier!
-Et nous avons pu enregistrer notre premier album en public. C’était la récompense : cinq titres !
 -Quelle belle histoire ! dis-je. On pourrait aisément tirer un film de cette aventure. 
-Nous avons étés invités à Laas, deux ans plus tard. Tittu n’était plus là”.
 Dix ans après la mort de Tittu, Ange Orati a écrit une très belle chanson pour lui rendre hommage : In Sempiternu. Guidu en a composé la mélodie.
“A Laas, poursuit Guidu, nous avons chanté La légende de Jimmy, avec Diane Tell, en version bilingue, corse et française. Et puis dix ans plus tard, les dix gagnants des dix années précédentes furent aussi invités à concourir. Nous avons fini  à la troisième place”.
 L’année suivante, ils produisirent leur second album : Canti suminati. Il fut très apprécié du public et leur tournée connut un franc succès.
Deux ans plus tard, en 2002, un nouvel album de chants polyphoniques vit le jour : Versi di vita
C’était aussi le temps des voyages : la Suisse, La Guyane, le continent, dans le Var, au Plan d’Aups,  à Bourges. Chaque concert à la cathédrale, reste pour tous un  grand moment. Guidu me dit avoir rencontré là-bas des “gens géniaux qui, après chaque concert, les acceuillaient les bras ouverts”. I Campagnoli y retourneront cette année pour la cinquième fois”.  
Marie Ferranti, in Les Maîtres de chant, livre à paraître aux Editions Gallimard. Tous droits réservés (Copyright Marie Ferranti, Editions Gallimard).

       

2005 - 2009 : Les doutes et les espoirs.
 “L’été, I campagnoli tournaient dans toute la Corse. Ils se taillaient de jolis succès. Le public les appréciait.  Il en va toujours ainsi.
 Il faut que je dise ici mon admiration pour leur passion intacte. Chacun d’entre eux a un travail, une famille. Pendant vingt ans, ils n’ont pas gagné d’argent. Aujourd’hui, les recettes suffisent à peine à couvrir les frais engagés. Ils sillonnent la Corse, partent après une rude journée de travail, reviennent au milieu de la nuit.
“Parfois, c’est dur. On est fatigués”, avoue Guidu. 
 Leur dernier album, Vint’anni, qui marquait leur vingt ans de carrière, a été enregistré dans la petite église de Poggiu d’Oletta en quatre jours, le soir, après le travail, car ils ne disposaient pas de congés.
 Avant la sortie de cet album, Ange Orati, l’un des membres fondateurs du groupe, les a quittés.
  Après les doutes, les incertitudes, I Campagnoli se sont repris et sont plus passionnés que jamais. L’année prochaine, ils fêteront leur 25 ans de carrière. Cette obstination à vivre leur passion pour le chant malgré les difficultés mérite que l’on s’y arrête. Qui aurait eu ce courage parmi nous? Cette constance m’a émue. Avec quelques amis artistes, nous avons décidé de les aider. Nous sommes quelques-uns à penser que ce talent et ce courage méritaient d’être remarqués, soutenus, encouragés.  
 Ils avaient besoin de textes. Jacques Fusina, le poète, a dit oui : il leur écrirait des chansons. Un ami photographe, Stéphane Guiraud, a dit oui : il composerait leur book. Armand Luciani - CastaLibre- s’est dit prêt à leur construire un site internet.   Jean d’Ormesson chez qui I Campagnoli sont allés chanter, à Fornali - soirée magique de chants sous le ciel étoilé du mois d’août - m’a dit : “Marie, C’était inoubliable ! Je veux faire quelque chose pour eux.”
  A peine lui ai-je parlé de ce projet, mon ami Henri Orenga de Gaffory a accepté d’enthousiasme d’en faire partie. Ange Leccia a dit oui. Le cinéaste Fabien Donati, les artistes Jean-Paul Pancrazi et Yvan Rebyj seront des nôtres. La liste n’est pas close. 
  A l’heure où j’écris, je ne sais si nous réussirons à ce que I Campagnoli enregistre un album dans les meilleures conditions, et à ce que l’on fasse un bel objet - un livre-cd, illustré par des artistes -  mais, au fond de moi, je n’en doute pas”.    
Marie Ferranti, in Les Maîtres de chant, livre à paraître aux Editions Gallimard. Tous droits réservés (Copyright Marie Ferranti, Editions Gallimard).

   









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